@pmonews 20/10/2024
(Rome) L’accord migratoire entre l’Italie et l’Albanie suscite de vives controverses et met en lumière les tensions autour de la gestion des flux migratoires en Europe. Conclu entre la Première ministre italienne Giorgia Meloni et son homologue albanais Edi Rama, ce pacte vise à transférer en Albanie, et plus précisément dans le port de Shengjin, jusqu’à 3 000 migrants par mois, interceptés par les garde-côtes italiens en Méditerranée, afin de traiter leurs demandes d’asile. En cas de refus de l’asile, ces migrants seraient expulsés de l’Albanie vers leur pays d’origine. Cependant, la récente décision d’un tribunal de Rome a remis en question la légalité et la faisabilité de ce projet, entraînant des tensions politiques et juridiques.
Le contexte et les décisions judiciaires
Un premier groupe de 16 migrants, principalement originaires du Bangladesh et d’Égypte, a été transféré en Albanie par un navire militaire italien. Les 4 premiers migrants ont été envoyés en Italie après seulement un jour sur le territoire albanais, car deux parmi eux étaient mineurs et deux autres étaient sérieusement malades. Quant aux autres, les 12 restants ont été renvoyés en Italie à peine deux jours plus tard, après que le tribunal de Rome a jugé qu’ils ne pouvaient pas être renvoyés dans leurs pays d’origine, estimant que ces destinations n’étaient pas suffisamment sûres. Les juges se sont appuyés sur des décisions antérieures, y compris celles de la Cour européenne des droits de l’homme, affirmant que le renvoi des demandeurs d’asile vers des pays où ils risquent la discrimination ou la persécution, même de manière localisée, est contraire au droit international.
En réaction, Giorgia Meloni a critiqué cette décision, accusant les juges de freiner les efforts du gouvernement pour sécuriser les frontières de l’Italie. Elle a annoncé la tenue d’une réunion d’urgence pour établir de nouvelles normes juridiques permettant de contourner cet obstacle judiciaire. Matteo Piantedosi, ministre de l’Intérieur, a ajouté que le gouvernement ferait appel de la décision.
Les arguments juridiques contre l’exterritorialisation des centres de détention
L’accord entre l’Italie et l’Albanie repose sur un concept d’externalisation de la gestion des demandeurs d’asile, une pratique qui soulève d’importantes objections juridiques au regard du droit international humanitaire et des droits de l’homme.
D’abord, l’accord controversé soulève des questions de violation du principe de non-refoulement. Ce principe, inscrit dans la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, interdit de renvoyer des individus vers des territoires tiers, sans vérifier leurs demandes.
De plus, cette pratique n’offre qu’un accès limité aux recours légaux. Les demandeurs d’asile transférés dans des centres de détention situés hors de l’UE peuvent voir leur accès à la justice limitée, en raison de la juridiction restreinte des tribunaux européens et nationaux sur le sol albanais. Les migrants risquent ainsi de ne pas bénéficier de la protection juridique équivalente à celle qu’ils auraient reçue s’ils étaient restés en Italie.
Finalement, le pacte migratoire est une violation de la dignité humaine. Le transfert de demandeurs d’asile vers un pays tiers, sans garanties solides quant à leurs droits et leur sécurité, va à l’encontre des normes européennes et internationales en matière de droits de l’homme. La détention des migrants dans des conditions quasi-prisonnières en Albanie (sans droit de quitter les centres de détention), loin de tout soutien juridique et humanitaire adéquat, pourrait constituer un traitement inhumain ou dégradant. L’Union européenne et ses États membres sont tenus de garantir le respect de la dignité humaine, indépendamment de la localisation des centres d’accueil.
Les implications politiques et les réactions en Europe
L’accord migratoire entre l’Italie et l’Albanie illustre un changement de cap dans la gestion migratoire européenne. L’Union européenne, sous l’impulsion de la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, soutient l’idée de créer des centres de traitement en dehors du territoire européen. Cependant, cette approche est critiquée par des organisations de défense des droits de l’homme, qui estiment que l’externalisation des centres d’asile crée un dangereux précédent en matière de droits et de protection des migrants.
Cette politique migratoire est également controversée en Italie, où des divisions apparaissent entre le gouvernement et le pouvoir judiciaire. Les tensions entre les branches exécutives et judiciaires mettent en lumière les défis auxquels est confronté le pays dans la mise en œuvre de ses politiques migratoires, dans un contexte de pression accrue des flux migratoires en Méditerranée.
Echec de la “pensée originale” de Von Der Leyen et de Meloni
L’externalisation de la gestion des migrants vers des pays tiers, comme le propose l’accord entre l’Italie et l’Albanie, reste un sujet hautement litigieux. Outre les difficultés juridiques et politiques, ce projet porte atteinte aux droits fondamentaux des demandeurs d’asile et affaiblit les obligations des États européens en matière de protection internationale. Le projet ayant couté 670 millions d’euros, il a à peine survécu 3 jours et accueilli 16 migrants, avant d’être anéanti par la justice.
David Gawlik