Alors que tous les regards sont désormais tournés vers Glasgow, en Écosse, où se réunit la 26e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP 26), du 31 octobre au 12 novembre 2021, les Africains affûtent leurs arguments pour obtenir des engagements clairs et les financements promis par les pays développés.
Entre cette COP et la précédente, plusieurs rapports ont été publiés, montrant une dégradation plus rapide et importante que prévue de la situation climatique et écologique dans le monde. Ils ont aussi relevé l’urgence d’agir réellement, au-delà des promesses. Tous en sont conscients, si rien n’est fait, il ne sera pas possible d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris de 2015, qui prévoit de limiter la montée des températures en dessous de 2 degrés, et si possible à 1,5 degré par rapport à l’ère préindustrielle.
Directeur général de l’Agence gabonaise d’études et d’observation spatiale (Ageos) et secrétaire permanent du Conseil national gabonais du climat, Tanguy Gahouma est le président du Groupe africain de négociateurs sur le changement climatique à la COP26. À quelques jours de ces assises, il détaille dans une interview accordée à Jeune Afrique ce que le continent en attend.
Quels sont les priorités des négociateurs africains pour cette COP26 ?
Tanguy Gahouma : La COP 26 représente pour nous l’échéance la plus importante depuis la COP21 de Paris. Cette dernière avait permis d’arriver à un accord, une grande première après des décennies de négociation et depuis la signature en mars 1994 de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Désormais, la priorité est de mettre en œuvre cet accord. Nous souhaitons entrer dans la phase de l’action, passer l’étape des questions de procédures pour attaquer frontalement le dérèglement climatique.
Plutôt que de réduire nos émissions de 40 ou 50 % dans les dix prochaines années, nous allons encore les accroître de 10 %. Pour nous, Africains, c’est inacceptable.
Pensez-vous que les décideurs politiques seront sensibles aux alertes des experts ?
Dans son dernier rapport, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) tranche, pour la première fois, le débat portant sur qui, de la nature ou de l’homme, est responsable du réchauffement : il affirme que la température de la Terre a augmenté de 1,1 degré depuis la période préindustrielle et que l’action humaine en est définitivement et indéniablement responsable. Et si nous dépassons les 1,5 degré, nous aurons atteint le point de rupture, la situation deviendra irréversible. Au-delà des considérations techniques, la priorité est donc politique pour le groupe Afrique. Nous devons mobiliser toutes les énergies pour que le thermomètre arrête de monter.
Les Africains ont-ils, plus que les autres, intérêt à agir ?
Selon les Contributions déterminées au niveau national [premiers objectifs et mesures climatiques fixés lors de la COP21], nous sommes sur une trajectoire qui nous conduit vers plus de 2,5 degrés, voire quasiment trois degrés. Selon ces données, plutôt que de réduire nos émissions de 40 ou 50 % dans les dix prochaines années – et c’est ce qu’il faut faire ! – nous allons encore les accroître de 10 %.
Pour nous, Africains, c’est inacceptable. On ne peut pas s’engager dans l’accord de Paris censé favoriser la baisse des émissions tout en constatant que la situation empire et en sachant que nous n’avons plus que dix ans pour agir avant le point de non-retour. Cette COP 26 doit réussir à remettre en adéquation les ambitions nationales avec l’engagement de Paris : celui de limiter la hausse de la température moyenne à 2°C, voire 1,5°C.
L’Afrique est-elle le continent le plus vulnérable, comme l’affirment la majorité des experts ?
Oui, l’Afrique est le continent le plus vulnérable. C’est important que tout le monde le sache. Nous sommes la zone du monde la plus chaude. Lagos, Libreville, Dakar, Douala, Le Cap… La plupart de nos grandes villes sont situées sur la côte. En conséquence, une grande partie de nos populations, de notre environnement et de nos économies est directement impactée par la hausse du niveau de la mer. Le trait de côte recule déjà année après année. Et notre vulnérabilité est d’autant plus importante que nous sommes moins développés que les autres régions.
Nous demandons le soutien des pays développés parce qu’ils endossent la responsabilité historique de cette catastrophe
Les pays développés s’étaient engagés à verser conjointement 100 milliards de dollars par an, à partir de 2020, pour aider les pays en développement à faire face au dérèglement climatique. Ces promesses ont-elles été tenues ?
Ces fameux 100 milliards de dollars, c’est un engagement politique et il est vital qu’il soit respecté. Ce sera l’un des enjeux de cette COP26. Nous demandons le soutien des pays développés parce qu’ils endossent la responsabilité historique de cette catastrophe. Nous ne demandons pas d’argent pour nos dépenses courantes, nous voulons un soutien technologique, nous voulons être aidés à améliorer nos capacités d’adaptation.
Quand et comment les fonds seront effectivement mis sur la table ? Si l’on ne parvient pas à répondre à ces questions, le processus aura perdu de sa crédibilité. Dans une telle négociation, la confiance mutuelle est la règle. Si nos partenaires veulent que nous fassions des efforts, ils doivent nous envoyer des signaux positifs. Il n’est pas juste de faire reposer uniquement sur nous les efforts nécessaires pour sauver notre planète alors que la responsabilité de sa mise en danger incombe à d’autres.
Ces 100 milliards de dollars promis sont-ils à la hauteur des besoins réels ?
Les 100 milliards de dollars par an sont une estimation proposée par les politiques. Nos estimations montrent que le vrai coût à consentir est dix fois plus important. Pendant cette COP, nous insisterons donc sur l’article 9.3 de l’accord de Paris, qui exige de déterminer le montant du financement nécessaire. D’autant que l’on sent que certains ne souhaitent pas ouvrir ce dossier…
Le Gabon milite pour que ses efforts de préservation des forêts et des puits de carbone soient pris en compte
À Glasgow, l’un des grands enjeux portera sur le mécanisme d’échange de « droits à polluer » entre les pays qui émettent peu et ceux qui émettent trop. Quelle position allez-vous défendre ?
Ce système n’est pas uniquement un mécanisme de marché, il pourrait contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il faut donc finaliser l’article 6 de l’accord de Paris [qui prévoit son instauration]. Certains pays développés estiment que les crédits du Mécanisme pour un développement propre [MDP, financement de projets de réduction d’émissions de gaz à effet de serre selon le principe de la compensation carbone dans le cadre du protocole de Kyoto] devraient être directement transférés dans le dispositif prévu au titre de cet article 6. Nous souhaitons au contraire limiter ces transferts. Si ceux-ci se font selon les désirs exprimés par ces pays développés, nous, Africains, aurons l’impression de perdre notre temps, car il ne s’agira pas d’efforts concrets. Nous souhaitons également que les financements disponibles dans le cadre du MDP contribuent au fonds d’adaptation au changement climatique pour les pays en développement.
Pourquoi l’Afrique ne profite-t-elle pas du marché carbone ?
Le continent n’est qu’un petit émetteur, avec 4 % des émissions mondiales. Elle n’a donc reçu que 1 % des financements émis dans le cadre du MDP et elle ne pourra pas être un gros bénéficiaire. C’est un non sens. Le Gabon milite pour que les efforts de préservation des forêts et des puits de carbone soient aussi pris en compte. Car si le pays déforeste 10 000 hectares par an, il en préserve dans le même temps 23 millions.
L’Afrique demande à accéder à des technologies et à des opportunités de développement
La lutte contre le réchauffement climatique peut-elle aussi être porteuse d’opportunités ?
Oui, mais à condition que l’on ne nous emmène pas dans des directions qui ne sont pas les nôtres. En Afrique, au moins un tiers de la population n’a pas accès à l’électricité. Comment dès leur parler de mobilité électrique ou d’énergie verte ? Nous avons un gros potentiel dans le domaine de l’hydroélectricité, nous disposons de l’ensoleillement le plus important au monde… Mais il faut prévoir un transfert de technologies et un accompagnement des populations vers des solutions plus durables.
Prenez le développement de l’agriculture industrielle : comment accompagne-t-on les pays à trouver une ressource équivalente à ce que rapporte l’huile de palme pour éviter la déforestation qu’ont connue d’autres bassins de production, en Amazonie ou en Indonésie ? Sur le climat, l’Afrique ne demande pas l’aumône, nous demandons à accéder à des technologies et à des opportunités de développement qui soient en phase avec l’accord de Paris.
Source: Jeune Afrique