Histoire bouleversante de violences conjugales, elle en parle avec beaucoup d’émotion, de passion, de révolte mais aussi de pardon. Julienne Morisseau, près de la quarantaine, afro-amazonienne, d’origine caribéenne (Master en travail administration et gestion de l’emploi à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, formation en Ingénierie d’affaires, en école de commerce puis une formation d’administratrice au Centre des Hautes études du ministère de l’Intérieur à Paris), poursuit un parcours combattant philanthropique légué par ses parents. Elle nous a marqué par son dynamisme et son engagement lors du Forum Universel de leadership féminin en juillet dernier au parlement européen à Strasbourg. Remise des traumatismes du passé, elle consacre aujourd’hui sa vie à la protection des femmes au sein de Zonta International. Comme une thérapie qui permet de soigner ses blessures, elle répond sans tabous à nos questions à travers l’interview exclusive avec Lexpress24.lu où elle se livre avec courage et détermination. Défi aux violences conjugales !
Lexpress24.lu : Julienne Morisseau, nous vous avons rencontré, très engagée au Forum Universel de leadership féminin en juillet dernier à Strasbourg en France. Vos origines sont mythiques et diverses. Et votre engagement semble lié à ces origines et à votre vécu. Parlez-nous en et aussi de l’influence de vos parents dans votre parcours philanthropique ?
Julienne Morisseau : Je suis afro-amazonienne originaire des Caraïbes, Guyanaise de parents Haïtiens. Le partage, le soutien mutuel, ont bercé mon enfance. Ils m’ont été transmis par mon père pasteur et ma mère, sa moitié.
On semble comprendre que vous avez aussi des origines haïtiennes. En quoi vos racines haïtiennes, des outremers et européennes ont-elles façonné votre vision et votre engagement pour la cause des femmes ?
J’ai tendance à me qualifier comme citoyenne du monde, femme plurielle engagée dans l’élévation de son prochain. L’humanité est portée par les femmes : elles sont majoritaires en nombre, mais souvent en minorité dans les postes de direction, dans l’entreprenariat prospère, plus fragiles économiquement et pour cause, la charge des enfants leur est confiée de fait.
Sans l’autonomisation financière et économique des femmes, l’éducation des fillettes et jeunes filles, les inégalités continueront à se perpétuer, à se répandre.
Dans le pays d’origine de mes parents, Haïti, la majorité des femmes sont accoutumées à exercer dans l’informel, l’informel est une norme ce qui les fragilisent d’avantage car elles n’ont pas accès au système de protection social, santé, chômage, retraite.
Dans mon département d’origine, Guyane Française, force est de constater qu’il y a plus de filles que de garçons sur ce beau territoire; les filles sont moins scolarisées que les garçons, souvent pour des raisons culturelles.
Quel a été le déclencheur de votre engagement personnel contre les violences faites aux femmes ?
Lors de la séparation, lors d’une énième scène de violences que je subissais, je me suis enfin défendue en le griffant car il était en train de m’étrangler, je pensais mourir ce soir-là…Si j’avais laissé faire ce soir-là, j’aurais été un cas de féminicide parmi tant d’autres, et mon ex-compagnon aurait invoqué un accident sous l’emprise de la colère et jalousie. J’avais le visage ensanglanté, il avait cassé mes lunettes en plastiques en me giflant, l’horreur.
Qu’avez-vous donc fait en réaction ? Porter plainte ?
Absolument, j’ai été au commissariat porter plainte, les policiers à l’époque n’ont pas pris ma plainte étant occupés à autres choses, j’ai patienté des heures et je suis rentrée chez moi car je devais préparer des cartons de livres, matériels scolaires que je devais amener à des enfants pauvres en Haïti le lendemain. Je me suis surtout dit que ma place n’était pas dans un commissariat car j’avais déjà déposé plaintes contre violences dans le passé classées sans suite. Le comble est que quand les policiers ont interpellé mon ex pour avoir sa version des faits, il a avoué qu’il m’avait bien violenté et que je m’étais défendue et il a porté plainte pour les griffures.
Quand mon ex-compagnon m’a trainé devant le tribunal alors que c’était moi qui subissais des violences psychologiques et physiques durant tant d’années, là j’ai pris conscience de la chance que j’avais de vivre et de me défendre. Cette injustice que j’ai subie m’a fait ouvrir les yeux sur tous les maux dont souffrent les femmes.
J’ai compris que Dieu avait un plan pour moi et a laissé cette injustice arriver afin que je porte la voix des femmes opprimées, blessées, battues, abattues, et que je leur montre leurs voies et les voies de défense via le plaidoyer. J’ai beaucoup prié lors de cette épreuve, je me suis reconstruite et je suis allée de l’avant sans nourrir de haine, de rancunes contre ceux qui m’avait fait du mal.
Cela veut dire que vous n’avez pas bénéficié de protection de la part des autorités judiciaires ?
Etes-vous remise de ce passé douloureux ? Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
Si j’ai pardonné et que je suis allée de l’avant, c’est parceque j’estime que j’ai une chance d’être en vie et de ne pas être victime de féminicide ; car je m’étais défendue. Pour autant, je n’ai pas renoué contact avec ceux qui ont participé de près ou de loin à cet épisode de ma vie. Que ce soit mon ex ou mon cercle d’amis de l’époque qui m’encourageait à me remettre avec lui malgré les violences, car il semblait m’aimer. Tout ceci est derrière moi et je remercie le Très Haut. D’où l’importance du choix du partenaire de vie. Trop de personnes hommes comme femmes souffrent en silence
Passons l’éponge sur ce passé douloureux, Julienne Morisseau, dites-nous, quelle valeur spécifique ou principe avez-vous directement hérité de vos parents et que vous appliquez dans votre travail aujourd’hui ?
Toujours soutenir le plus faible. Ne pas rendre le mal par le mal. Ne pas faire à autrui ce qu’on n’aurait pas aimé qu’on nous fasse. Ces etrois principes hérités d’eux guident mes pas, j’en fais une philosophie de vie.
Cet héritage familial se reflète-t-il dans votre présidence au Zonta Paris Port Royal Concorde ? Dites-nous d’ailleurs ce que c’est que Zonta International.
Zonta International défend les droits des femmes depuis plus de 104 ans.
Nous plaidons pour l’égalité, l’éducation et la fin du mariage des enfants et de la violence sexiste. Le Zonta International construit un monde différent pour les femmes et les filles grâce à des projets internationaux et des bourses d’éducation financées par la Fondation Zonta pour les Femmes et grâce à des milliers d’initiatives de service et de plaidoyer entreprises par les clubs Zonta et leurs membres dans les communautés dans lesquelles ils vivent et travaillent.
Nous sommes un réseau de plus de 1 100 clubs Zonta dans 63 pays qui mènent à bien notre mission Zonta et travaillent pour améliorer la vie des femmes et des filles au niveau local.
Parlons-en de vos projets et activités. Quels sont les projets ou initiatives spécifiques que vous avez menés ou soutenus qui vous semblent avoir eu un impact significatif sur la vie des femmes ?
Depuis 2022, j’ai intégré le comité international du Zonta International en qualité de Représentante Régionale de l’Europe du sud et Afrique du comité membership francophone.
Tant qu’il n’y a pas de club Zonta dans un pays, les jeunes femmes, filles du pays ne peuvent prétendre à porter leurs candidatures pour les généreuses et prestigieuses bourses du Zonta qui peuvent changer leurs vies.
Car au-delà de l’aspect pécunier, pour ces jeunes femmes boursières, c’est d’intégrer un réseau professionnel qui permet de créer des opportunités, des nouvelles occasions de placement dans de belles entreprises et ce au niveau mondial. Le Zonta élargit les opportunités pour les femmes et les filles grâce à nos programmes d’éducation internationale et nos projets de service.
Durant le biennium 2022-2024, le comité membership dont la présidente était Theresa Harris a fait un excellent travail, il y a eu des créations de clubs en Tunisie, RDC, Congo, Madagascar, Rwanda et des projets de créations en cours au Cameroun, Gabon, Guinée, Zambie.
Pouvez-vous partager des exemples concrets de femmes ou de communautés qui ont bénéficié de ces initiatives ?
Au niveau local à Paris à la fin de ma présidence, j’avais lancé la création d’une bourse spécifique pour les jeunes femmes à Paris qui souhaitaient poursuivre leurs études/projets dans le développement durable. Cette bourse s’appelait JND Gaia Eco-responsable en l’honneur de la fondatrice du club Mme Janine Ndiaye.
Cette bourse a été remise lors d’une belle cérémonie au Palais du Luxembourg, dans le restaurant du Sénat en juillet 2022 à une jeune femme d’origine comorienne qui avait un projet de recyclage de textile en lien direct avec l’économie circulaire.
Quels résultats tangibles avez-vous pu observer dans la lutte contre les violences faites aux femmes grâce à votre action ?
En tant que membre du Zonta, nous contribuons financièrement au programme de services globaux de la fondation du Zonta International.
La fondation du Zonta International finance depuis plus de 100 ans des programmes de services durant chaque biennium , programmes d’ONG tels que l’ONU Femmes, UNFSA (fonds des nations unies des populations ), UNICEF USA, dont les bénéficiaires sont les fillettes, jeunes filles et femmes notamment en matière de lutte contre les violences physiques, psychologiques faites aux femmes, jeunes filles et fillettes .
Le Zonta International a financé les programmes de l’UNICEF USA et à l’UNFPA pour soutenir programme mondial UNFPA-UNICEF pour mettre fin au mariage des enfants afin d’obtenir un changement durable à grande échelle en s’attaquant à la violation des droits de l’homme dans une douzaine des pays où la prévalence est la plus élevée ou dans les pays en difficulté.
Depuis le lancement du programme en 2016, plus de 7,7 millions d’adolescentes et plus de 4,2 millions de membres de la communauté ont reçu des informations, des compétences et des services. En 2023, ce programme prévoyait d’atteindre plus de 14 millions d’adolescentes dans 12 pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie du Sud avec des services directs.
Quelles stratégies utilisez-vous pour engager les jeunes générations et assurer la continuité de votre travail ?
Elles consistent à rassembler les clubs Zonta du monde entier dans la conduite d’actions de plaidoyer percutantes pour lutter contre la violence à l’égard des femmes et l’inégalité entre les sexes.
« Notre plaidoyer permanent s’articule autour de la campagne de plaidoyer »Zonta dit NON à la violence contre les femmes. » Cette campagne de sensibilisation à la pandémie mondiale de violations des droits des femmes a démarré en 2012″.
Pendant les 16 jours d’activisme, du 25 novembre au 10 décembre, tous les clubs et districts du Zonta sont encouragés à participer à la campagne “Zonta dit NON à la violence contre les femmes” et à prendre des mesures locales, nationales et internationales pour influencer l’élaboration et la mise en œuvre des lois, ainsi que la modification des attitudes et des comportements sexistes pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes.
Mais il est vrai que nous encourageons les membres jeunes et moins jeunes à mener des actions de plaidoyer pour promouvoir les droits humains des femmes, promouvoir l’objectif de développement durable n° 5 qui est de “parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles” et mettre fin à la violence à l’égard des femmes et des filles.
Parlons de l’avenir et de vos perspectives. Quels sont vos objectifs futurs pour Zonta International et plus largement pour la cause des femmes ? Y a-t-il de nouvelles régions ou communautés que vous ciblez particulièrement pour les années à venir ?
Nous souhaitons créer davantage de clubs Zonta sur le continent africain. Aujourd’hui nous n’avons qu’une vingtaine de clubs africains ce qui est peu au regard du nombre de pays sur le continent.
Comment envisagez-vous de continuer à perpétuer l’héritage de vos parents dans votre travail futur ?
En poursuivant mon travail terrestre avec le respect de mes valeurs, convictions tout en faisant preuve de gratitude, de reconnaissance.
Intéressons-nous à la jeunesse, Madame Morisseau, quel message souhaitez-vous transmettre aux jeunes femmes et hommes qui veulent s’engager pour les droits des femmes et contre les violences faites aux femmes ?
Il ne faut pas hésiter à donner de son temps, ses compétences, son savoir-faire pour cette noble cause, car chacun d’entre nous à un proche, un membre de sa famille qui a subi des violences sans même que nous le sachions. La violence a plusieurs visages, formes et les injures, les rabaissements, les dénigrements dans un couple constituent de la violence psychologique qui peut avoir des effets dévastateurs sur la personne qui les subit mais également pour l’équilibre psychologique des enfants du foyer.
Un dernier mot pour les lecteurs de Lexpress24.lu ?
Tâchons de cultiver à notre niveau la bienveillance envers autrui. Soyons attentifs, attentives et présent(e)s pour ceux et celles qui ont besoin de nous surtout au sein de nos sociétés contemporaines où prime l’individualisme à outrance. La détresse humaine, la tristesse, la solitude et l’isolement sont souvent vécus dans le silence absolu du fait du regard malveillant, moqueur, du jugement de son prochain.
Julienne Morisseau, Merci
C’est moi qui vous remercie.
Interview réalisée par Carlos KETOHOU