@pmonews 30/06/2024
(Kinshasa) Ce 30 juin 2024 marque le 64è anniversaire de l’indépendance de la République Démocratique du Congo. Une lutte pour l’indépendance de ce pays de l’Afrique centrale mené de bout en bout par un homme. Patrice Emery Lumumba. A ses côtés, Léon Nkanga, ex chef de section du parti politique MNC et aujourd’hui 88 ans, continue de croire à la vision de Patrice. Pour cet anniversaire, il ouvre ses portes de Kisangani et se confie dans cette interview. . Lecture…
Vous avez été proche de Lumumba, avant même l’indépendance. Ici à Kisangani, vous avez même été chef de section de son parti, le MNC. Racontez-nous votre première rencontre avec ce héros de l’indépendance congolaise.
Léon Nkanga : C’était un accident. J’ai suivi la conférence panafricaine qui s’est tenue au Ghana, à Accra. Lumumba était l’un de ceux qui ont participé à cette réunion et j’ai été curieux de l’entendre et le voir moi-même. Il fera d’ailleurs la restitution de cette conférence panafricaine.
Il a tenu des meetings à Kisangani aussi. Je travaillais dans une banque. Lorsque j’ai demandé à mon chef de m’autoriser d’aller écouter Lumumba dans son meeting, il a refusé catégoriquement. Il m’a même proféré des menaces : si je m’y rendais, je risquais d’être révoqué. J’ai fait la sourde oreille.
À l’hôtel où s’est tenu le premier meeting de Lumumba, celui-ci a fait comprendre à l’assistance pourquoi on devait demander l’indépendance, qu’est-ce qu’était « l’indépendance ».
C’est là que nous avons compris que l’indépendance, c’était le changement, être libre parce que nous étions dans une colonie belge. Et lorsqu’il est arrivé à la délégation de la Chefferie Wagenia, il a été surpris de voir que, parmi les autochtones de la ville de Kisangani, il y avait seulement deux personnes. Ils n’étaient pas nombreux. Et il me posa la question : « Est-ce que vous autres, les Wagenia, vous ne voulez pas de l’indépendance ? » Je lui ai sèchement répondu qu’il y avait beaucoup de gens qui ne comprenaient pas ce qu’était l’indépendance. Il nous remettra une carte de visite pour que nous puissions aller le voir.
Et le samedi, nous nous sommes rendus [chez lui], mais c’était difficile d’y avoir accès. Lorsque je me suis approché de la porte, celui qui était là ne voulait pas que je puisse même lui présenter la carte de visite. J’étais un peu trop jeune et je lui ai asséné un coup de poing au nez. À ce moment-là, à l’intérieur, [ils ont compris] que les gens se battaient. C’est moi qui ai provoqué cet incident et c’est à cause de cet incident que nous avons été reçus.
Patrice Emery Lumumba était entouré de secrétaires, Mr Salumu Bernard, mais aussi par le gouverneur Jean-Pierre Finant. À ce moment-là, il a commencé à nous expliquer ce qu’était l’indépendance.
Pourquoi avez-vous cru dans le combat de Lumumba pour l’indépendance du Congo ?
L’histoire même, même de l’Église. Il était comme un des prophètes, mes envoyés. Je vous dis que Lumumba, c’était un envoyé pour libérer ce pays. Il voyait très loin, il disait que nous étions des esclaves dans notre pays. Mais nous voulions nous libérer, nous devions diriger ce pays nous-même.
Kisangani est réputée être un bastion politique de Patrice Emery Lumumba, alors que ce n’est même pas sa terre natale. Pourquoi et comment Lumumba a-t-il réussi à s’imposer ici ?
Lumumba a été accepté par toute la population de Kisangani. Lorsqu’il y a eu des élections, il a obtenu dans [cette] ville 84,6 % des suffrages. Mais il n’était pas chez lui. C’était une habitude des habitants de Kisangani : même avant l’arrivée de Lumumba, il y avait les arabes ; Tippo Tip est arrivé, il a été accueilli à Kisangani.
Quelles anecdotes gardez-vous de la vie de Lumumba ici, quand la ville s’appelait encore Stanleyville ?
Je vais vous surprendre. Il y avait des Belges qui voulaient former les gens en droit. Ils donnaient des cours aux « évolués », et Lumumba, on ne sait pas ce don qu’il avait, mais il comprenait facilement. Et il disait à ses professeurs : « Monsieur, vous expliquez mal, laissez-moi expliquer à mes collègues et ils comprendront vite ce que vous êtes en train d’expliquer. »
Lorsqu’il a commencé à expliquer à ses collègues, ils ont compris. [Les Belges] ont alors décidé de le mettre à part et ont dit : les autres sont en première année et vous [Lumumba], vous serez en deuxième année.
Lumumba, c’était un génie. Toute personne qui a discuté avec Lumumba savait qu’en lui, il y avait quelque chose de Dieu. Il a été envoyé par dieu pour sauver ce pays. J’étais parmi les premiers administrateurs désignés par Lumumba, et lorsque j’ai été envoyé à Bafwasende, ensuite à 90 kilomètres de Bafwasende, au poste d’attache de Bomili, il y avait un chef, retraité, sergent major en 1912 de la force publique, qui avait un quartier à lui. Et dans ce quartier, il y avait une chapelle où les prêtres venaient célébrer la messe hebdomadaire. Et lorsque qu’on disait en swahili « saint Joseph, saint Pierre », lui il disait « saint Lumumba », alors les prêtres belges ont refusé de célébrer la messe dans cette chapelle, parce qu’il avait sanctifié Lumumba et qu’il n’en avait pas le droit.
À la déclaration de l’indépendance, le 30 juin 1960, vous, vous étiez ici à Kisangani à Stanleyville. Comment était cette journée quand vous écoutiez le discours de Lumumba à la radio ?
Tout le monde jubilait, les gens jubilaient d’entendre que nous étions devenus indépendants. Et surtout, les quelques intellectuels qui comprenaient le mot « indépendance » parce que beaucoup ne comprenaient pas ça.
Comment avez-vous vécu toute la période qui a précédé l’assassinat de Lumumba ? Quelle nouvelle est-ce que vous receviez de lui quand il était en détention à Thysville, actuelle Mbanza-Ngungu ?
Les gens n’étaient pas contents d’entendre que leur leader, Lumumba, le libérateur du Congo, était détenu à Thysville. Tout le monde était mécontent, tous ses partisans.
Soixante-quatre ans après l’indépendance, que reste-t-il de Lumumba, de son esprit, de son combat pour l’indépendance ?
De son combat pour l’indépendance… Il faudrait que le gouvernement de la République démocratique du Congo prenne conscience qu’il peut s’occuper, comme avant l’indépendance, des routes, des produits agricoles qui pourrissent à l’intérieur du pays à cause du mauvais état des routes. Lumumba a fait ce qu’il a fait. Nous sommes indépendants. Maintenant, 64 ans après, il y a eu combien de gouvernements ? Si notre gouvernement s’occupe de l’état de route, nous ne connaitrons plus cette situation calamiteuse que nous avons, la faim. Quelle organisation ? Il ne nous manque rien, nous avons toutes les têtes, mais on ne sait pas exactement pourquoi ça ne marche pas bien, pourquoi c’est le désordre, à cause du mécontentement la population. La population n’est pas bien considérée.
Source : Rfi.fr